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Nous ne savons jamais ce que voient les yeux des femmes que nous regardons ! - Marie André
« Nous ne savons jamais ce que voient les yeux des femmes que nous regardons ! » est une série de portraits de femmes documentaristes réalisés par Michel Jakar. Y a -t-il un regard spécifiquement féminin, une manière d'appréhender le réel et de filmer propre aux jeunes femmes, réalisatrices de documentaires ? En conversation avec Michel Jakar, elles se racontent, évoquent leur travail et finalement doivent se définir face à l'objectif d'une caméra qui s'abreuve de leurs films. Ce portrait, réalisé en 1997, est consacré à Maria André. Elle a déjà une quinzaine de films à son actif pour lesquels elle a obtenu plusieurs prix internationaux. Des oeuvres de fiction, des documentaires dont certains films avec des artistes : Mauricio Kagel, Anne-Thérèsa De Keersmaeker, José Besprosvany... et d'autres sur ses origines, comme autant de cahiers intimes. Jeudi 18 sept. 1997, intérieur jour, Marie André cherche l'oeil de la caméra. Elle hésite à regarder le film qu'elle a jadis tourné en Russie et dont les images défilent à ses côtés. « N'est-ce pas de la complaisance ? » s'inquiète-t-elle. Active et curieuse, attentive aux petites choses, la cinéaste esquisse une définition de son travail documentaire : « Nous sommes peu de chose, mais les choses restent. Je me sens traversée par les choses, et je les rends. C'est la transmission. Les plans naissent, ils se forment comme une phrase pour le poète... » Marie André réaffirme son besoin de bien connaître son sujet avant de le filmer ; des années de préparation sont parfois nécessaires... comme justement pour ce film en Russie, sur les traces de sa grand-mère. Mais « la vie se met en scène toute seule », se permet Jakar en citant Agnès Varda. « Oui et non, reprend Marie André, moi j'ai besoin d'un intense travail préparatoire... tout doit être préparé, mis en scène... je m'approche extrêmement fort du sujet... mais après, le tournage devient aussi naturel que de faire une confiture ou la préparation d'un repas ». Et Jakar de conclure qu'effectivement, elle pose sa caméra comme si elle allait rester là pour toujours. La manière de ses films en découle naturellement. De longs plans fixes, en prise sur la durée, « pour que le flux de la vie puisse passer », et cela comme un acte de résistance face aux autres images, celles de la télévision qu'elle n'accepte pas. Qu'elle filme une chorégraphe connue (Anne-Thérèsa De Keersmaeker) ou une simple paysanne préparant le bortsch, Marie André sent une grande proximité avec les sujets féminins. Dans un monde où, selon Serge Daney/Michel Jakar « les médias incarnent l'Occupation du Pouvoir... », les femmes lui paraissent être les premières résistantes. Et, toujours prête à mettre spontanément sa caméra du côté des opprimés, elle a réalisé « Un ange passe » sur la prostitution, comme un film social...